Au cœur du Comté AOP

Une AOP (Appellation d’Origine Protégée) certifie qu’un produit est réalisé dans une aire géographique déterminée. Mais derrière ce label, il y a aussi pour la fabrication du Comté une filière d’excellence animée par des hommes (ou des femmes) passionnés. Découvrons trois d’entre eux. Durée totale de la formation : 1H 0min

  • Une AOP (Appellation d’Origine Protégée) certifie qu’un produit est réalisé dans une aire géographique déterminée, selon un process défini. Mais derrière ce label, il y a aussi, pour la fabrication du Comté, une filière d’excellence animée par des hommes (ou des femmes) passionnés. Découvrons trois d’entre eux.

    L’éleveur laitier : Florian Studer Lorsque la famille Studer s’installa à Déservillers dans le Doubs en 2012, elle n’ignorait certainement pas le statut de « Berceau du Comté » du village. En effet, celui-ci possédait la plus ancienne fruitière (coopérative laitière destinée à la production de fromage de grande taille) consacrée au Comté (son existence est attestée depuis 1273). Notre famille, d’origine suisse allemande, installée en France depuis 1993, quittait alors sa ferme laitière du Calvados. La crise du lait de 2009 avait mis en péril son activité, il fallait se lancer dans un nouveau défi. À cette époque, le jeune Florian achevait ses études agricoles (Bac pro puis BTS ACSE). Aujourd’hui, il nous présente l’exploitation familiale. Et nous explique pourquoi Studer rime avec rigueur !

    Associée à une technologie de pointe, cette rigueur a pour but ultime de faire vivre économiquement l’exploitation afin de dégager les quatre salaires de l’entreprise : « il faut du monde pour bien s’occuper des vaches ». Il connaît chacune de ses 60 vaches et il guette le moindre signe pouvant annoncer un problème de santé. La vache n’en sera que plus rapidement soulagée avec un traitement limité. Car de la santé de son troupeau dépend la qualité du lait. Et celle-ci est l’objet d’une stricte surveillance.

    Voilà pourquoi Florian Studer applique cette rigueur, aussi bien pour l’alimentation que pour l’hygiène de son cheptel (des Montbéliardes, une des deux races avec la Simmental agréée par l’AOP Comté). La connaissance de la quantité et de la valeur nutritionnelle du fourrage donné à chaque vache en hiver en est un exemple parmi d’autres. Mal nourrie, la bête maigrit et sa production baisse ; trop alimentée, elle gaspille, entraînant une perte d’argent. « Ça se joue à pas grand-chose […], ça peut changer à la fin de l’année de plusieurs milliers d’euros, les pertes ou les gains ».

    Sans oublier le bien-être des vaches, avec le nettoyage et le paillage journaliers de leur litière. Le maintien de la qualité du lait est aussi une affaire d’hygiène. Particulièrement en ce qui concerne la traite. Florian veille ainsi à nettoyer les trayons avec un savon neutre sans désinfectant pour ne pas nuire à la flore microbienne du lait cru. Elle influencera plus tard le goût du fromage faisant le lien entre terroir et saveur, notion intrinsèque à l’AOP. La production de lait du jour sera conservée à une température pas très basse de 12°, dans la même intention de préserver les organismes vivants du lait cru. Le camion-citerne peut passer nuitamment, le lendemain matin nous nous retrouvons à la fromagerie.

    Le maître fromager : Gilles Courtejoie Il est cinq heures, Paris s’éveille, le travail du fromager commence. Les milliers de litres de lait livrés dans la nuit ont été répartis dans sept cuves, à raison de 2550 l chacune, qui produiront chacune six fromages. Soit 425 l de lait utilisés par meule (celle-ci pesant une quarantaine de kilos). Le précieux liquide, brassé sans relâche, est chauffé à 32° après l’ajout de ferments lactiques comme les mésophiles ou le streptocoque thermophile. Cette première étape s’étend sur une heure, c’est la maturation.

    Puis vient l’emprésurage qui consiste à faire coaguler le lait par l’adjonction d’une enzyme naturelle. On laisse reposer environ trente minutes. Intervient alors le savoir-faire et l’expérience du fromager. Il teste le durcissement du caillé en vue de le découper. Cet instant précis où le tranche-caillé entrera en scène « va presque déterminer la qualité finale du produit ». Car « chaque fromager a son instant à lui ». En outre, il apporte sa touche personnelle dans le choix de la taille des grains de fromage, en réglant la vitesse du tranche-caillé en fonction de son choix. En l’occurrence, Gilles Courtejoie les souhaite très fins. De ce fait, il marque le futur Comté.

    Ne s’éloignant plus de la cuve, il « caresse » le caillé et observe très attentivement les grains en formation. Le moment venu, l’ensemble grains de caillé-sérum (petit lait) est de nouveau brassé puis chauffé jusqu’à 56°. Cette montée en température, qui n’est pas régulière, prend trente minutes. Et une demi-heure plus tard notre fromager juge que les grains de fromage sont suffisamment ressuyés (extraction de l’humidité). Toutes ces opérations sont renouvelées pour les sept cuves, mais « on est en lait cru, donc tout vit, chaque cuve réagit à sa manière ».

    Enfin, le contenu de la cuve est aspiré pour procéder au moulage. Celui-ci permet d’évacuer le petit lait tout en agglomérant le caillé. Sur le côté de la meule ainsi constituée, il est temps de placer une plaque verte ovale indiquant sa provenance et sa date de fabrication. Biocompatible, puisque composée de caséine (protéine de lait) et de chlorophylle naturelle, elle s’incrustera dans la croûte du fromage. C’est un élément essentiel de la traçabilité du produit. Les fromages sont ensuite disposés sous une presse dans le but d’extraire le reste du sérum. Après sept ou huit heures de ce traitement, les meules auront pris leur forme définitive et seront démoulées le soir pour être entreposés dans une cave. Le jeune fromage, ou fromage « en blanc » puisqu’il n’a pas encore de croûte, y sera affiné sur place ou, par manque d’espace, dans des caves plus imposantes. Il quittera alors sa fruitière natale afin de poursuivre sa maturation aux bons soins d’affineurs exigeants, comme nous allons le voir.

    Le maître affineur : Bertrand Henrio « Le temps est qualité », que voilà une belle devise pour la fromagerie Arnaud. C’est là que nous accueille Bertrand Henrio. À travers la visite des caves de son entreprise, nous allons nous initier à l’art délicat de l’affinage du Comté. C’est une quinzaine de jours après son démoulage que le fromage en blanc arrive dans les caves de Poligny. Celles-ci ont des températures ambiantes variables et une hygrométrie toujours très élevée (plus de 90% d’humidité). La meule passe ses quatre premiers mois dans une cave de fermentation.

    Jusqu’à ses deux mois d’âge, elle est placée dans une cave dite de pré-affinage. À une température ambiante de 12°, elle est salée, frottée, et retournée trois fois par semaine. Ce travail est accompli par un robot, à vrai dire bien utile lorsque l’on voit la hauteur des rayonnages ! Ceux-ci sont fabriqués en planche d’épicéa, au rôle aussi important que le chêne des tonneaux de vin. La texture et la croûte du fromage commencent à se développer sous l’effet de la morge. Cette solution saumurée est elle aussi appliquée régulièrement sur les meules.

    Vient ensuite la cave chaude. L’élévation de la température de quelques petits degrés accentue le travail des micro-organismes contenus dans le fromage. Car il faut le rappeler, qui dit fromage au lait cru dit fromage vivant en constante évolution. L’affinage consiste donc à jongler avec cette matière vivante pour atteindre le meilleur état du fromage. C’est à l’aide de la sonde que le maître affineur prend le pouls de celui-ci. Il faut que la meule « sonne » bien sous les coups du petit marteau. Elle doit être massive et non fissurée. Inutile de dire qu’une longue pratique est nécessaire à ce bon diagnostic… Il peut aussi faire un carottage dans la meule pour préciser son jugement. Couleur de la pâte, texture, arômes et goût sont alors scrutés.

    C’est le goût qui constitue l’élément d’évaluation le plus important pendant l’examen du fromage. Cet examen décisif de la fin du quatrième mois est pratiqué par les chefs de cave. Il scellera le sort du fromage. Seuls ceux notés de 14 à 20 reçoivent une bande de marquage verte « comté clochette ». Ceux notés de 12 à 14 seront « repêchés », en étant toutefois signalés par une bande brune. Les autres seront définitivement recalés : fondus, ils deviendront la matière première de petits fromages tels « La vache qui rit » ou « Kiri »…

    Le Comté confirmé peut lui alors tranquillement passer dans les caves de maturation longue. Il attendra là plusieurs mois, voire plusieurs années, que l’affineur le juge au meilleur de son goût et de sa texture. Et une certification AOP ne signifie pas produit standardisé, bien au contraire. Le Comté est un fromage dont la maturation, liée à son terroir d’origine, est une alchimie complexe maîtrisée par l’affineur, lui-même héritier du travail du fromager et de l’éleveur laitier. C’est en pensant à cette addition remarquable de savoir-faire que nous dégusterons maintenant notre morceau de Comté !

Vidéo de présentation